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La manière dont diverses institutions françaises préparent les JO de 2024 offre une loupe sur ce qu’elles sont le reste du temps, et c’est particulièrement le cas en ce qui concerne la justice. Se pencher dessus, outre affronter cette exacerbation répressive qu’on est en train de vivre, c’est aussi se donner des billes pour comprendre à quoi sert la répression en temps “normal”.
En prévision des jeux olympiques et paralympiques le gouvernement s’est donné l’objectif “zéro délinquance”, d’après le nom du plan lancé à l’automne 2022 aux endroits où les épreuves vont se tenir, ce qui se traduit naturellement par une augmentation de l’activité policière et pénale. Le discours dominant assume alors parfaitement que la sévérité de la justice n’est pas fonction d’une réalité sociale donnée mais des nécessités du moment de l’État. En l’occurrence ces nécessités répondent à un double enjeu, d’un côté préparer la vitrine de la France qui va être le centre de l’attention internationale, de l’autre profiter de l’occasion pour resserrer la vis sur le long terme.
En gros la justice est en train d’augmenter drastiquement le nombre de procès et notamment celui des comparutions immédiates (CI) – les procédures de jugement expéditives – qui débouchent toujours sur des incarcérations massives. Des audiences supplémentaires de CI sont prévues dans 14 tribunaux des départements qui recevront les épreuves, et 122 magistrat-es et 294 greffier-es sont attendu-es en renfort. Le tribunal de Bobigny est particulièrement au centre de l’attention si on en croit les nombreux articles qui fleurissent dans les médias. En tant que tribunal de la Seine-Saint-Denis (93), à la fois emplacement central des JO et département métropolitain le plus pauvre où la justice et les prisons tournent déjà à plein régime, il représente un enjeu de taille. Des audiences de CI dites “de délestage” s’y tiennent déjà (1) pour éviter que des procès soient renvoyés sur la période des JO, en attendant l’ouverture d’une troisième chambre dédiée aux CI à partir du 26 juin. Une deuxième chambre de CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) sera aussi ouverte pour l’occasion. Les effectifs de flics du dépôt (les geôles du tribunal) vont être renforcés.
Pourquoi ce déploiement de moyens ? Ca n’est heureusement pas lié à une vague soudaine de pulsions sanguinaires. Pas non plus, malheureusement, à une belle révolte généralisée, comme ça a été le cas en juin dernier lors des émeutes qui ont suivi le meurtre de Nahel par les flics, période que le président du tribunal de Bobigny considère d’ailleurs comme un test fructueux de fonctionnement en période de crise (c’est-à-dire d’abattage judicaire). Non, le but de ces dispositifs est limpide et juges et politiques ne s’en cachent pas.
Ils répondent à une activité policière intensive qui vise dès à présent à faire “place nette”, comme l’indique sans vergogne le nom des opérations en cours dans plein de villes françaises. Annoncées pour lutter contre le trafic de drogue, ça consiste en un déploiement de toute une panoplie de flicaille pour occuper un quartier avec parfois des hélicoptères en appui. Outre la terreur qu’inspirent ces démonstrations de force, le but est aussi de procéder à des arrestations massives pour vider les rues – pour la phase “XXL”, lancée le 19 mars, un millier d’interpellations étaient prévues sur toute la France dans une ambiance Minority Report, et dans les faits Darmanin en comptait 1738 au 30 mars. (2)
C’est la même logique quand les flics anticipent que les garde-à-vue passent de 100 à 200 par jour dans le 93 au moment des JO, on comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une prédiction mais d’objectifs chiffrés à remplir. On peut cependant imaginer qu’il y aura plus de délits commis à ce moment-là, notamment vu qu’il y aura un élargissement de ce qui est interdit : contraintes administratives (assignations à résidence, interdictions de paraître, …) qui amènent devant la justice si on les enfreint, interdictions du territoire francilien délivrées en peine complémentaire lors de jugements en ce moment, zones interdites d’accès à qui n’a pas le bon QRcode, métro fermé à qui n’a pas quatre balles en poche… Pour beaucoup de gens ça sera répréhensible de simplement exister dans les zones clés des JO. D’autre part, il y aura encore moins de tolérance que d’habitude pour tout ce qui est ou sera interdit de faire dans la rue, vu le déploiement de moyens prévu cet été pour réprimer : utilisation de la vidéosurveillance algorithmique, déploiement de 30000 flics, de drones, et de 15000 militaires, renforcement des patrouilles dans les transports…
Le mise sous contrôle généralisé de la population et la volonté de vider les rues des indésirables entraînent le passage de plus de personnes devant la justice, et immanquablement l’incarcération de plus de monde dans les prisons toujours en record d’entassement (le chiffre inédit de 76766 prisonnier-es dans les prisons françaises a été atteint le 1er mars dernier).
Donc quand on vient nous dire que le plan de construction de nouvelles prisons (18000 places supplémentaires entre 2016 et 2027) vise à résoudre les problèmes de surpopulation dans les taules, c’est évident que c’est un gros foutage de gueule. En parallèle la justice se dote de toujours plus de moyens et la capacité des tribunaux augmente en même temps que celle des prisons. On pense au gigantissime nouveau tribunal de Paris à la porte de Clichy et ses 210 cellules de dépôt, mais aussi à celui de Bobigny dont il est prévu de doubler la taille totale d’ici 2027. Il s’agit bien de mettre sous contrôle et enfermer une part toujours plus grande de la population, et notamment celle pauvre, racisée, marginale, qui traîne un peu trop dans la rue. Tout ça sous couvert de “c’est pour votre bien”, en nous bourrant le crâne de blabla sur l’insécurité ou autre ensauvagement de la société qu’on nous sert à toutes les sauces. Si les prisons sont toujours plus remplies c’est en réalité qu’il y a toujours plus de choses qui sont répréhensibles et que l’État se dote de toujours plus de moyens pour les réprimer. Mais c’est aussi que ce qui est appelé “délits” c’est souvent la débrouille, la contestation et la révolte, qui sont toujours plus indispensables face à un monde basé sur la domination et l’asservissement. La justice et la prison existent pour protéger les intérêts de l’État et du capitalisme, c’est pourquoi il est vital de lutter contre, que ce soit pendant ou hors JO.
Face à la justice et la prison, soyons sauvages ! Liberté pour toutes et tous !
Avril 2024
(1) Pour précision ces audiences se tiennent dans une chambre fraîchement créée pour les violences conjugales. On ne pense pas que l’institution judiciaire puisse régler le sexisme, et on voit une fois de plus avec quel cynisme le problème est instrumentalisé pour fournir des moyens supplémentaires à la répression en général.
(2) En Île-de-France, parallèlement à ces opérations, des personnes vivant à la rue sont allégrement placées dans des cars pour être expulsées dans d’autres villes en échange de trois semaines d’hébergement dans un des dix “sas d’accueil temporaires régionaux” spécialement ouverts.