[Brochure] Pourquoi on s’oppose aussi aux Jeux paralympiques

Vu sur Saccage 2024

Ce texte est la transcription d’une prise de parole d’un militant d’Objectif Autonomie, dans le cadre de l’intervention d’Objectif Autonomie et du Front de Libération Antipsy à « la fête au COJO » organisée par Saccage 2024 le 11 décembre 2022.


Je vais essayer de parler d’antivalidisme et des Jeux olympiques. Pour ça j’ai envie de partir du constat qu’il y a une certaine frilosité dans le fait de s’opposer à tout ce qu’on trouve dégueulasse quand ça concerne les handicapé·es. Par manque de connaissance des luttes antivalidistes sûrement, par peur de faire des boulettes ou comme si c’était un monde à part avec des problématiques à part, on s’en désintéresse.

Ça va même parfois jusqu’à se poser la question de s’il faudrait s’opposer juste aux Jeux olympiques et pas aux Jeux paralympiques. Donc je veux déjà affirmer que s’opposer aux Jeux paralympiques n’est pas validiste, au contraire.

Déjà les Jeux paralympiques ont les mêmes sources et les mêmes effets dégueulasses que les Jeux olympiques, sur les personnes, le logement, la surveillance de masse, les transports, la santé, etc. Ils sont produits dans les mêmes conditions et aux mêmes fins.

Ces effets qui touchent les personnes valides, touchent de manière d’autant plus forte les personnes handicapées et fols, comme n’importe quelle personne déjà précarisée.

Pour donner quelques exemples, la loi « Sécurité globale » dont il est question à plusieurs reprises dans la documentation de Saccage 2024, permet un degré de fichage encore supérieur des personnes psychiatrisées, déjà extrêmement surveillées mais qui peuvent à présent être fichées en raison de leur diagnostic médical. Les personnes malades, handicapées et fols font face à un degré croissant de surveillance ces dernières années, d’une part par le développement d’outils informatiques comme le dossier médical partagé, les algorithmes de recherche de fraude aux allocs, doctolib, etc. et d’autre part par la surveillance des comportements jugés anomaux, dont la conséquence peut aller jusqu’à l’enfermement, la torture et la médication forcée à des fins d’effacement ou de normalisation. On peut craindre une augmentation très forte avec le dispositif de surveillance qui se met en place pour les JO et JP 2024.

Pour ce qui est du logement et du transport, les personnes handicapées sont déjà effacées de l’espace public, en particulier en Îl-de-France, de part l’inaccessibilité des transports – seule la ligne 14 est entièrement accessible PMR – et des logements – la loi ÉLAN a réduit l’obligation d’accessibilité des logements neufs de 100 % à 20 %. Cette inaccessibilité sert des intérêts, puisque l’État délègue la question du handicap à des associations gestionnaires, qui tiennent des foyers, des établissements médicaux éducatifs, des établissements de service d’aide par le travail, exclu du droit du travail, et tout un tas d’autres institutions plus ou moins lucratives. Le cœur de la lutte antivalidiste c’est al fermeture des lieux d’enfermement et d’exploitation psychiatriques et médius. Ce n’est pas du tout quelque chose d’utopiste ou de radical, puisqu’on sait que le maintien à domicile des personnes n’est pas nécessairement plus coûteux et que même des institutions très molles comme l’ONU demandent leur fermeture, pour que la France soit en accord avec le texte international sur le handicap qui a été ratifié.

Donc, d’autant plus dans une période d’épidémie, les JO et JP vont être – et sont déjà – un cauchemar sanitaire, de surveillance, de logement, etc. pour les personnes handicapées et fols. Ça l’a déjà été par le passé dans tous les pays où se sont tenus les JO et JP, et je vous invite par exemple à lire une brochure sur Séoul 1988 qui se trouve sur le blog de Saccage 2024.


Chacun de ces sujets mériterait qu’on développe les effets observés et escomptés, les méthodes de soutien et d’opposition possibles, etc. Mais par manque de temps, je choisis de me concentrer sur les paralympiques, pour qu’on soit tous·tes au clair sur ce que c’est.

Les paralympiques sont un très rare moment de visibilité (relative) du handicap, avec le Téléthon (tout aussi dégueulasse et validiste). Cela a pour effet de masquer la réalité du validisme, l’isolement volontaire des personnes handicapées enfermées, victimes de la gentrification, etc.

Histoire des paralympiques et critique du handisport : « dépasser son handicap »

Il y a énormément d’articles qui font état des différences de moyens entre les JO et les JP, de la spoliation des sportifs paralympiques, etc. Je vais plutôt me concentrer sur une critique des paralympiques en soi, et non comparativement aux JO, parce que je ne veux plus de JP et JO du tout.

Un des arguments majeurs de la critique des JO, c’est la violence normalisatrice de la compétition sportive : une philosophie du corps individualiste, nationaliste, destructrice, dépolitisante et ségmentante, basée sur le dépassement de soi et la performance.

Les paralympiques sont peut-être l’exemple paroxystique de la violence normalisatrice du sport institutionnalisé. L’existence des Jeux paralympiques est, comme beaucoup de choses dans le domaine du handicap et dans les politiques du handicap, un héritage militaire de la Seconde Guerre mondiale, qui tout à coup se met à être visible, et à toucher majoritairement des hommes, qui-plus-est, des hommes qui ont servi la patrie.

C’est à cette période-là qu’est née l’idéologie du rétablissement, qui conditionne encore aujourd’hui les vies des personnes handicapées, leurs possibilités d’accès au soin et aux services.

Le rétablissement, c’est une vision hyper médicalisée du handicap et de la folie, selon laquelle l’intégration sociale et la dignité humaine sont conditionnées à, si ce n’est la guérison, au moins un dépassement du handicap. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le créateur des paralympiques, le neurologue allemand Ludwig Guttmann, cité sur le site internet des JO 2024 :

« Jusqu’alors, le problème était sans espoir, car il fallait non seulement sauver la vie de ces hommes, femmes et enfants paraplégiques et tétraplégiques, mais encore il fallait leur redonner leur dignité et en faire des citoyens heureux et respectés. »

Donc nous sommes près de Londres, en 1948, dans un hôpital militaire. Un médecin invente des épreuves sportives dont l’objectif est de favoriser le « rétablissement » des anciens soldats, tous paraplégiques. D’où le nom : Jeux paralympiques. Avant 1976, donc, les Jeux paralympiques ne réunissent que des sportifs utilisateurices de fauteuil roulant.

Pour donner une idée, les personnes utilisateurices de fauteuil roulant, c’est entre 2 % et 3 % de la population. En ce qui concerne le handicap en général, on est plus proches du quart de la population active. C’est à l’exclusion, donc, des enfants et des personnes âgées, ainsi que de nombreuses personnes qui peuvent traverser une condition médicale temporaire. Certain·es militants·es anglophones utilisent, plutôt que le terme valide, le terme « pre-disabled », « pré-handicapé·e ». L’objectif de ce terme est de visibiliser le fait que le handicap n’est pas l’exception, mais quelque chose vers lequel nous tendons tous·tes, si ce n’est par la maladie ou l’accident auxquels la violence capitaliste nous surexpose, au moins par la vieillesse. Ce constat est d’autant plus vrai lorsque nous faisons face à des événements qui créent du handicap de manière massive, comme l’épidémie de Covid-19.

Donc on voit déjà que la séparation handicapé / valide, bien qu’utile et nécessaire à des fins militantes, est largement questionnable, poreuse et artificielle.

« Celle-là, on ne veut pas qu’elle soit là ! » – Des classifications et qualifications absurdes, violentes et validistes, qui renforcent l’injonction au « dépassement » du handicap.

À partir des jeux de Toronto en 1976, des athlètes aveugles ou avec des handicaps visuels, ainsi que des athlètes amputés·es, prennent part aux jeux – toujours – paralympiques. À partir de 1980, on ajoute l’infirmité motrice cérébrale, en 1996, la déficience intellectuelle, puis on l’exclue en 2000 et on la réintègre en 2012.

Eh oui, c’est là que les paralympiques montrent toute leur violence : comment on décide qui est suffisamment peu handicapé·e pour être sportif·ve de haut niveau, mais suffisamment handicapé·e pour participer aux paralympiques ?

L’un des chevaux de bataille de l’antivalidisme, c’est l’opposition à tout système de « niveaux de handicap ». Aujourd’hui en France, l’accès aux aides financières et humaines est largement conditionné à la validation d’un « taux d’incapacité », qui peut être de moins de 50 %, 50 à 79 %, ou plus de 80 %. Ce sont des catégories largement arbitraires, basées sur l’appréciation de l’administration – et ses préjugés. Il est déjà impossible et absurde de classer par « niveau de handicap » des personnes ayant les mêmes pathologies, car nous ne pouvons pas entrer à l’intérieur du corps et de la vie de chacun·e pour évaluer objectivement l’impact de chaque symptôme et relation avec l’environnement de vie de la personne, ses souhaits, etc. Par exemple, on ne peut pas dire de deux personnes douloureuses : celle-ci a plus mal que l’autre. Par ailleurs, le handicap n’est pas quelque chose de fixe mais de régi par l’environnement, la fatigue, l’aide technique et humaine, et de nombreux autres facteurs. C’est d’autant plus absurde lorsqu’on essaye d’évaluer sur une même grille, des situations de handicap qui n’ont rien à voir. C’est ce qui se passe pour les paralympiques.

« L’un des enjeux principaux des sports paralympiques est d’éviter le théâtre d’une compétition prévisibles où le sportif dont le handicap est le moins “important” gagne systématiquement », nous dit le site de France Paralympique.

Je ne peux pas rentrer dans les détails de la classification parce que ça prendrait des heures, mais en gros le comité international paralympique défini quels handicaps sont acceptables ou non, avec des critères minimums pour chaque sport (de taille, de vue, de QI, etc.) Ces critères ne concernent qu’une infime partie des pathologies, ignorent totalement que le polyhandicap est la situation la plus courante, et mettent des limites arbitraires. Pour moi, l’exemple le plus frappant est celui de l’utilisation du test de QI (quotient intellectuel), pour les athlètes dont le handicap est la déficience intellectuelle – et uniquement la déficience intellectuelle. On sait depuis longtemps que ce test n’est en aucun cas une grille d’évaluation fiable des capacités intellectuelles d’un personne, qu’il est basé sur des critères racistes, classistes, etc. et largement biaisé par l’environnement dans lequel il se tient.

Par ailleurs, ces critères poussent à un type de dopage très particulier : l’automutilation. Il s’agit de faire face aux tests d’évaluation du comité paralympique en portant atteinte à son corps, de manière à paraître « suffisamment » handicapé. Je n’ai pas envide de citer une série d’exemples qui sont tous plus horribles les uns que les autres, mais pas d’athlètes ont pris la parole là-dessus. L’équipe de Russie a d’ailleurs été exclue des JP de Rio en 2016 pour cette raison. Je trouve intéressant ed mentionner que les personnes sourdes, qui n’ont jamais été considérées pour les paralympiques, ont d’ailleurs leurs propres Deaflympics depuis 1024 (soit bien avant l’existence des paralympiques). C’est probablement le résultat d’une culture et d’une communauté forte, mais aussi d’un handicap qui n’influence pas forcément les performances sportives, mais rend impossible la participation à des des compétitions où tout est régi par le son et la parole.

Pour paraphraser un athlète paralympique qui se plaignait de la non-équité entre un nageur qui nage avec ses mains et un qui n’a pas de mains, les Jeux paralympiques c’est surtout une compétition de qui « maîtrise » le mieux son handicap.

Aucun handicap n’est incompatible avec la pratique du sport.

Nous sommes tous·tes amené·es parfois – ou quotidiennement – à faire un effort physique, et quand les conditions sont réunies et que les cadre est adapté, nous pouvons rechercher l’effort physique, pour les mêmes raisons qu’une personne valide. Celui-ci est simplement différent. Il est par contre totalement incompatible avec la pratique sportive institutionnalisée. Je l’ai déjà dit, si le dépassement de soi est déjà dangereux pour les sportifs valides, il l’est d’autant plus pour les sprotifs·ves handicapé·es, mais surtout pour les personnes handicapées en général.

Je dis ça parce que les paralympiques sont, comme je le disais au début, l’un des rares moments où éon voit des handicapé·es ». Les personnes handicapées, bien que nombreuses, sont invisibles non pas du fait de la visibilité ou non de leur handicap, mais de leur exclusion de l’espace public, politique, social et médiatique.

Comme le montre l’exemple des personnes sourdes et des Deaflymppics, les JP ne sont pas une tentative de rendre accessible le monde du sport, mais un spectacle télévisuel organisé par des valides, pensé par, et pour des valides. Si vous en me croyez pas, je vous laisse regarder les campagnes de pubs et de sponsoring des JP successifs. Les personnes handicapées ne sont donc visibles qu’au travers de ces prismes valides, où le bon handicapé, celui qui se dépasse, est une source d’inspiration – évidemment ça ne mentionne pas les contextes ultra privilégiés dans lesquels ont grandi et évoluent la plupart des athlètes paralympiques. Et où l’autre, lae mauvais·e handicapé·e est une charge, qu’il est légitime d’enfermer, d’écarter, de violenter loin du regard valide.

Pour finir, j’ai envie de redire ce que je disais en intro. Les JO c’est aussi dégueulasse pour les personnes handicapées et fols que pour les autres, on est déjà dans des situations ultra précaires, d’enfermement, d’exclusion sociale et géographique, de surveillance. J’aurais pu développer n’importe lequel de ces axes et j’espère qu’on aura d’autres occasions de le faire d’ailleurs, qu’il sera possible de produire des analyses sur les effets de la surveillance sur les personnes psychiatrisées par exemple, et surtout de s’y opposer et de trouver des moyens de s’en protéger. J’ai choisi de me concentrer sur les paralympiques, car j’aimerais déjà avant tout voir une opposition systématique aux Jeux olympiques et paralympiques, des discours un peu ciblés, des actions qui visent les paralympiques, comme le Téléthon, et comme tous les événements médiatiques qui concernent les personnes handicapées, contribuent à légitimer un discours étatique et gestionnaire du handicap, où il ne s’agit pas de dévalider la société, de prendre la responsabilité collective et sociale du handicap et de la folie, mais au contraire d’en faire une problématique individuelle, une responsabilité individuelle, avec des politiques de plus en plus violentes à l’encontre des personnes handicapées et fols.